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Note d'intention du film "L'ikigaï"

  • il y a 2 jours
  • 6 min de lecture

Un long métrage écrit et réalisé par Gwenny Nurtantio (sortie en 2026)


“Puissiez-vous vivre une époque intéressante.” Confucius


“L’ikigaï” est une comédie dramatique qui traite de quatre sujets:


  1. la quête de sens professionnel (les bullshit jobs)

  2. les récits des diasporas asiatiques (que signifie grandir en tant que personne eurasienne?) 

  3. le féminisme (comment construire des relations épanouissantes, en jouant des rôles traditionnels?)

  4. la neurodiversité (p.ex. pensée "multipotentielle", haut potentiel, hyperactivité, etc.) 


Altar - Kris Martin - Film "L'ikigaï"

Le scénario est inspiré du livre “Il en faut peu pour travailler mieux. 25 solutions pour désencombrer ma vie pro”. On retrouve au casting plusieurs personnalités belges, parmi lesquelles David Jeanmotte (présentateur de Miss Belgique), Clément Corrillon (finaliste de The Voice, qui compose deux chansons pour la BO du film) et Julien Lanquetin (le directeur du cours Florent).


  1. La quête de sens professionnel


“Au fond, c’est vrai, toute votre génération du Y, là, 

vous ne voulez plus travailler.” (Madame, dans “L’ikigaï”)


La notion d’ikigaï (“mission de vie” en japonais) suggère que notre “métier” idéal se situerait au confluent de ce que l’on aime, ce pour quoi l’on est doué·e, ce dont le monde a besoin et ce pour quoi l’on peut être rémunéré·e. Il s’agit de la quête essentielle de Lynn Sumarni.


D’un emploi à l’autre, son parcours montre différentes réalités du monde professionnel actuel, et un certain désespoir sous-jacent: Chantal, la burnie de retour au front, Philippe et Greg, les ingénieurs aux bullshit jobs, le “crush” en brown-out, le scrum master qui fait profession de foi des nouvelles méthodes managériales… “L’ikigaï” donne cette impression latente d’un système arrivé à épuisement, où l’essentiel de l’énergie est dispersé à de la gestion plutôt qu’à de la création de valeur.


On y voit aussi la divergence de vues entre les générations : il y a d’une part l’idée selon laquelle “les jeunes ne veulent plus travailler”, et d’autre part le regard incrédule que tend le personnage de Mamy sur la vie professionnelle de Lynn (notamment à la lecture d’un texte qui a inspiré le “paradoxe de la Reine rouge”, qui consiste à courir pour demeurer sur place). Outre cette critique (qui tacle, au passage, les limites du système scolaire, en préambule au monde du travail), “L’ikigaï” lance aussi des pistes pour réfléchir sur sa propre situation.


“Je rêve de créer ma société et de défendre les abeilles, mais je ne pourrais pas. 

Tu comprends bien, quand on a une voiture comme ça, on ne quitte pas.” (Chantal)


Par quoi choisissons-nous de rester entravés? Le film montre la singularité d'une protagoniste qui mène sa barque, décide de partir et d’explorer d’autres voies. Cette histoire encourage la remise en question des attendus sociaux, en invitant le spectateur à explorer ses propres aspirations en retrouvant le sens du collectif. Lynn, en défiant les attentes et en osant être différente, inspire le courage et l'audace.


Film "L'ikigaï" - Marie Phan

  1. Les récits des diasporas asiatiques


À l’instar de “Noir·e n’est pas mon métier”, “L’ikigaï” plaide pour changer les rôles attribués par défaut aux personnages asiatiques. A’an Yayak (le Papa) témoigne : “Je suis ému de pouvoir, pour la toute première fois, jouer le rôle d’un père - et pas des scènes d’arts martiaux.” Le père est présenté comme séduisant ; c’est un élément important face à tous les exemples de films occidentaux qui disqualifient les hommes asiatiques sur le plan sexuel. 


Le film décrit par touches l’expérience d’une vie eurasienne. Lynn dénote. Où qu’elle soit, le sentiment d’inadéquation est manifeste, depuis l’école des “élèves blonds” jusqu’au bureau de consultance des “grands hommes en costume”. Sous couvert de l’humour, on croise le cliché du “vous avez tous la même tête” (lorsque le recruteur confond Lynn et Justine), le nom de famille “Sumarni” écorché du début à la fin (“Surimi, c’est un nom, ça ?”) ou encore le racisme ordinaire qui se croit bienveillant (“C’est comme si je partais en Asie avec une locale, mais juste pendant une heure pour la pause de midi”, “Ma nièce, elle est très fan des personnes comme vous… tu sais, les femmes asiatiques…”).


Maëlle Lamblot & Marie Phan - Film "L'ikigaï" -  KIDYWOLF

Mais cette combinaison de cultures est aussi source d’ouverture. La réalisatrice avait à cœur de montrer une famille où l’on parle deux langues différentes (des modèles très peu présents au cinéma). Le film montre volontairement une diversité ethnique extrêmement large et une multiplicité de langues et dialectes. Français, anglais, indonésien et flamand occidental : tout cela contribue au rendu très “belge” du film (avec la réplique ironique du papa, lorsqu’il enseigne un mot wallon à un Belge du cru : “il faut t’intégrer, Marc”). 


Le choix des langues employées dans “L’ikigaï” permet aussi d’amorcer la critique d’un certain anglais d’entreprise, truffé de vocabulaire obscur (et dont la réalisatrice se saisit en voix-off dès le début du film), qui sert peut-être à cacher la vacuité de ce travail. 


“En Afrique ? Dans la nouvelle Silicon Valley ?”

(Le présentateur David, à la fin du film)


Avec cette incise de David Jeanmotte, “L’ikigaï” s’achève sur une hypothèse pour réviser nos stéréotypes et nos représentations du monde, non seulement au sujet de l’Asie, mais aussi de façon universelle.



  1. Le féminisme 


Un figurant à l’école primaire (6 ans): “C’est qui le héros du film?” 

Maëlle (“Lynn Sumarni” enfant): “C’est moi!”

Le figurant: “Une fille?”


Au cinéma, les hommes occupent 70% des rôles principaux. Et lorsque les femmes apparaissent, ont-elles un nom, se parlent-elles entre elles, et d’autre chose que d’un homme?  Il y a quelque chose de bien plus inédit qu’on ne pense dans le fait de montrer au cinéma une femme en personnage principal, qui cherche son ikigaï (pas uniquement la validation d’un homme) et qui tisse des relations avec d’autres figures (sa soeur cantatrice, sa grand-mère, des retraitées ostendaises,…) 


En pied-de-nez au principe qui voudrait que, au cinéma, la femme soit “une chevelure”, Lynn est toujours coiffée de façon très sommaire. En revanche, elle attribue une grande importance à son apparence : à l’adolescence (“sur mon lit de mort, j’embrasserai mes sacs de luxe”), à l’âge adulte (“J'adore les belles fringues. Mais oui! Mon ikigaï, c’est de travailler dans la mode!”) et jusque dans la vieillesse (“Votre dressing?”). Mais la construction de son image d’elle-même est laborieuse. Lynn ne peut que constater son inadéquation persistante vis-à-vis des standards de beauté (en climax lors du défilé de mode). 

N.B. : dans ses choix photographiques, Gwenny Nurtantio a été très attentive à sortir du male gaze, soit de l’objectivation des personnages, quel que soit leur genre.


Après sa chute de cheval, une scène évoque la rencontre entre les versions enfant et adulte du personnage. Lynn a l’occasion de se regarder elle-même en face. Elles se prennent mutuellement en photo et l’enfant commente l’image : “Elle est floue”, ce qui permet plusieurs interprétations. La scène amène le questionnement : Quand je me regarde, qu’est-ce que je regarde au juste? Comme une invitation à dépasser le superficiel. À noter encore que le présentateur ultra-maquillé de la scène de fin et le portrait de Roland-Deepak, l’homme aux cheveux bleus, suggèrent qu’en 2075, quelque chose a encore changé dans le rapport des hommes et des femmes à la beauté.


Film "L'ikigaï" - Marie Phan et Clément Corrillon

Faire la paix avec son image… et construire des relations amoureuses qui dépassent le patriarcat? La mise en couple représente traditionnellement une forme d’accomplissement féminin (le célibat étant pensé comme anormal), avec la maternité comme tuile faîtière (d’où le décalage de la scène de la poussette). Lynn, en essayant de correspondre à ce modèle, essuie ici aussi plusieurs échecs amoureux. L’idée du mariage persiste dans le film : elle travaille dans un magasin de robes de mariée et défile elle-même, en remarquant : “En Asie, ça porte malheur de porter une robe de mariée avant d’être fiancée”. 


Enfin, des pistes pour rééquilibrer la parentalité sont esquissées dès l’enfance, où le personnage du père donne à voir des attitudes non stéréotypées : il pose du vernis sur les ongles de ses filles, fait la cuisine, le ménage, etc. Une des dernières scènes suggère que Lynn sera parvenue à construire un couple où les rôles du père et de la mère auront été complètement réattribués, ce qui laisse songeur(se). 



  1. La neurodiversité 


Dans cette dimension-ci, l’enjeu est de comprendre que l’on peut être différent·e par son genre et son origine, mais aussi par son mode de pensée. Le terme “neurodiversité” recouvre le trouble du spectre de l’autisme, le haut potentiel intellectuel et/ou émotionnel (comme Miyuki, HPI), le multipotentiel (comme Lynn), les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité, les troubles dys-, etc. 


“L’ikigaï” évoque par petites touches ces fonctionnements cérébraux différents, pour sensibiliser le public : que ce soit avec la scène du Scrabble ou celle du décompte des bonbons à la Saint-Nicolas, il s’agit de montrer comment ces caractères se vivent de façon plus subtile que dans des versions extrêmes, façon Rain Man.


Film "L'ikigaï" - Marie Phan, Clément Bernaert, Julien Lanquetin

En mettant des mots sur son caractère multipotentiel, Lynn débloque des possibles et crée un chemin qui lui correspond bien mieux. “L’ikigaï” participe à mieux faire connaître la notion de multipotentiel pour susciter de l’inspiration auprès des spectateurs.

Le livre


Le film "L'ikigaï" est basé sur le livre "Il en faut peut pour travailler mieux". Un livre drôle et intelligent pour désencombrer sa vie pro. À lire absolument avant de voir le long métrage!


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